Fronde des agriculteurs L’heure des premiers bilans
Sous les pressions syndicales et les coups de force des agriculteurs durant un mois et demi, la liste des mesures obtenues auprès du gouvernement est impressionnante. "L’éleveur laitier" en dégage huit.
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Le mouvement de protestations massif débuté à la mi-janvier témoigne d’un monde agricole déboussolé. Les agriculteurs, et tout particulièrement les éleveurs, sont à la recherche permanente du bon compromis pour répondre aux injonctions contradictoires du marché et des citoyens : plus de bien-être animal, moins de gaz à effet de serre et de pesticides mais des prix bas et une France à la balance commerciale positive. S’ajoutent à cela les tracasseries administratives, amplifiées par les effets du réchauffement climatique qui bousculent le calendrier réglementaire cultural (épandages des effluents, semis des intercultures, etc.). Et, pour les éleveurs laitiers, la nécessité de se battre pour un prix de base d’au moins 420 €/1 000 l. La médiation que l'Unell a engagée avec Lactalis en est le bon exemple. Après deux années de prix du lait, de la viande bovine et du blé élevés, la crainte d’un retour vers des revenus médiocres mobilisent les producteurs. Début mars, après un Salon de l’agriculture très chahuté, c’est l’heure des premiers bilans. Huit mesures annoncées retiennent l’attention de L’éleveur laitier.
Ce qui est obtenu
- Plus-values. Grâce à la pression des agriculteurs sur le terrain et du syndicalisme, le gouvernement a supprimé la hausse des taxes sur le gazole non routier, tout en conservant l’augmentation du plafond de chiffre d’affaires pour l’exonération totale des plus-values, actée à l’automne dernier. Cette mesure concerne les cessions réalisées à partir du 1er janvier 2023. Pour les exonérations, le plafond passe à 350 000 € par unité exploitante, contre 250 000 € jusque-là, et, pour les partielles, à 450 000 €, contre 350 000 € avant.
- Transmissiondes exploitations. Là aussi des plafonds d’exonération sont relevés, comme celui sur la valeur du matériel, du cheptel, des stocks, etc., transmis au jeune repreneur. Le cédant bénéficiera d’une exonération totale jusqu’à 700 000 € de cessions, contre 500 000 € jusque-là, et d’une exonération partielle pour 1,2 M€, contre 1 M€ précédemment.
- L’aide de 150 € par vache laitière ou allaitante, très médiatisée, demande encore à être précisée. Elle répond à la conjoncture favorable du marché de la viande, qui gonfle la valeur des stocks animaux dans les comptabilités. D’aide fiscale dans la loi de finances 2024, elle est devenue aide fiscale et sociale sur les exercices du 1er janvier 2023 au 31 décembre 2024. Elle est plafonnée à 15 000 € par exploitation, ce qui, pour les cotisations sociales, revient à un allègement de l’ordre de 6 000 €, selon la FNSEA (15 000 € x 40 %).
- L’autre nouveauté annoncée le 25 février par Marc Fesneau, ministre de l’Agriculture, est la non-réintégration de l’aide dans le revenu au bout de six ans « si le cheptel a augmenté de manière constante sur les six années ». Il n’indique pasquand la mesure sera lancée. Dans la loi de finances 2024, le dispositif est prévu à effectif constant durant cette période. L’aide est ensuite réintégrée. Sa mise en œuvre nécessite donc un suivi animal par animal : si la vache est vendue, elle doit être remplacée par une autre pour maintenir les 150 € durant les six ans. « Ce gain d’impôt rentre dans le cadre des aides de minimis plafonnées actuellement à 20 000 € sur trois exercices », pointe Marlène Roger, fiscaliste à CERFrance Normandie Ouest. « D’autres dispositifs existent déjà qu’il faut également étudier, ajoute-t-elle, par exemple, la déduction d’épargne de précaution qui touche toutes les catégories d’animaux, et non pas les seules vaches. Le délai maximal de réintégration est de dix ans. »
- Jachère. L’obligation de 4 % de surfaces non productives est suspendue pour la campagne 2024. Bruxelles a donné son accord. Elle est remplacée par 4 % d’infrastructures agroécologiques, à l’avantage des éleveurs puisque ces IAE concernent les haies (1 km = 2 ha), les cultures dérobées et de légumineuses sans pesticide. Un hectare de culture dérobée équivaut désormais à 1 ha d’IAE, contre 0,3 ha auparavant.
L’élevage laitier peu concerné
- Installations classées (ICPE). Les bovins ne sont pas concernés par l’alignement obtenu aux ICPE européennes puisque le régime d’autorisation français l’est déjà : plus de 400 vaches laitières dans les deux cas. En revanche, les producteurs laitiers qui veulent agrandir leur troupeau à ce niveau gagneront un peu de visibilité. Le délai de recours contre les projets devrait être réduit à deux mois. Actuellement, il est de quatre mois à partir de leur publication ou affichage.
Ce qui reste à préciser
- La réimplantation des prairies permanentes est toujours sur la table. Au regard des déclarations de la Pac 2023, les Pays de la Loire et la Normandie sont en effet soumis au régime d’interdiction de leur retournement car la baisse de leur surface est supérieure à 5 % par rapport à 2018. Les éleveurs qui en ont retourné les deux années précédentes doivent en resemer. La Commission européenne est d’accord pour assouplir cette règle des 5 %. La balle est dans le camp des États membres.
- De même, le plan d’aide à la bio n’apporte pas encore satisfaction. Cinquante millions d’euros supplémentaires sont annoncés. Encore faut-il que les éleveurs laitiers en bénéficient. Les critères choisis pour y avoir accès aujourd’hui sont la perte d’excédent brut d’exploitation ou de chiffre d’affaires, et non de revenu.
- Les reculs sur les enjeux environnementaux et climatiques, des demandes formulées d’abord par la FNSEA, pourraient bien à terme se retourner contre les agriculteurs. Ils vont à contre-courant des attentes sociétales, ce qui est d’ailleurs dénoncé haut et fort par les ONG. Nul doute que la pression sur le monde agricole reviendra sur cette thématique. De plus, la demande de simplification exprimée partout en Europe par les agriculteurs montre une déconnexion grandissante entre les réalités du terrain et la bureaucratie de Bruxelles ou des ministères. En France, la question centrale des faibles revenus, elle, semble avoir été comprise. Il reste à espérer que l’état fasse enfin appliquer les lois égalim. C’est un minimum.
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